STÉPHANIE GIORGIS
DANS LA CUISINE
13.10.2023 - 07.01.2024
Dans la cuisine est un projet inédit de la plasticienne vaudoise Stéphanie Giorgis, conçu spécialement pour l’Espace Graffenried. L’installation réunit trois travaux, dont deux réalisés expressément pour l’exposition. En jouant avec l’une des fonctions même de l’espace dans lequel elle expose, l’artiste nous emmène dans un lieu quotidien, personnel et quasiment intime : la cuisine. Les œuvres présentées mettent un coup de projecteur sur nos habitudes et nos rituels de préparation culinaire, dans une réalité culturelle où la cuisine est devenue aseptisée : volontairement trop bien rangée ou cachée. Ainsi, les différentes étapes de l’élaboration d’un repas (recettes, produits utilisés et lieu de création) sont ici passées au crible par l’artiste. Dans la cuisine se dévoilent les non-dits et les habitudes qui ne sont en principe pas divulgués, qu’il s’agisse de secrets de famille, de produits industriels ou de gaspillage alimentaire.
Canevas constitue la première partie de l’exposition. Cette affiche à l’image de la cuisine de l’Espace Graffenried – cachée derrière les portes coulissantes de la salle – a été créée à partir d’un procédé développé récemment par l’artiste : un dessin tramé réalisé à l’encre de Chine, puis transformé numériquement. Des mots y sont superposés, mais l’amputation des lettres de chaque côté laisse planer le mystère. On y devine le terme « nature morte », qui écarte alors un propos plus identitaire influencé par la lecture potentielle d’un « moi ». Le second travail, intitulé Garde-manger, est composé de soixante-quatre dessins originaux réalisés à l’encre de Chine disposés sur un texte tronqué. Les dessins représentent des aliments industriels dont la marque et l’étiquette informative ont été retirées. Leurs emballages sont ouverts, comme si les produits avaient été consommés. Avec ce travail autour de la forme, du contraste et de la mémoire collective, Stéphanie Giorgis joue sur les référents et les habitudes de chacun·e, en traitant un sujet au cœur de l’actualité. Finalement, la troisième pièce de l’exposition – qui prend la forme d’une peinture murale accompagnée d’un leporello (petit livre plié) – est une reprise d’un travail effectué précédemment par l’artiste, intitulé L’âne dans la peau ou la recette revisitée pour une tronche d’amour. Cette pièce réalisée en 2022 et montrée pour la première fois publiquement s’inspire d’une scène du film « Peau d’Âne » de Jacques Demi (1970) où la sublime Catherine Deneuve prépare un gâteau d’amour pour son prince. Le texte presque illisible rappelle les formules clés d’une recette de cuisine, à l’impératif (« prenez », « choisissez », « laissez »). Il s’apparente à des codes-barres, sorte d’image subliminale créée par l’artiste. Ces injonctions basculent formellement dans le livre et donnent à lire des textes qui déconstruisent le mythe du prince et de la bonne ménagère, en suivant l’ordre des ingrédients de la recette du film inspiré par le conte de Charles Perrault.
Les différentes composantes de l’exposition témoignent de la place de choix que tiennent l’écriture et le texte dans la pratique artistique de Stéphanie Giorgis, qui se plaît à manier les signes et à jouer avec les mots et leurs interprétations, tout en abordant avec humour et intelligence diverses problématiques sociétales.